L’odeur des crayolas


Pour Eléonore

 

Dans sa salle de classe, Mélanie a un coin secret, une étagère dans un placard qu’elle dédie à ses collections. Il y a un peu de tout: des doudous oubliés, des chouchous et des barrettes de couleur fluo, des gants orphelins ramassés dans la cour de récré et qui se morfondent sans leur seconde moitié… Tout un tas d’objets dont le propriétaire reste non-identifié et qu’elle a vaguement espoir de restituer un jour aux parents des enfants concernés.

 

Crayolas brisésMais il y a une chose qu’elle garde pour elle, juste pour elle. C’est son grand bocal de crayolas en petits morceaux, récupérés à la fin des périodes de dessin.

De temps à autres, quand elle est toute seule, elle plonge le nez dedans. Tout le visage. C’est sa bouffée d’enfance. Elle adore l’odeur des crayolas depuis toute petite. C’est une odeur très particulière: terreuse à tendance poudreuse, sucrée, un peu acidulée… Difficile à décrire. Elle lui rappelle sa tante, qui avait offert à sa sœur et elle un coffret géant contenant plusieurs dizaines de couleurs alignées en arc-en-ciel sur trois étages.

 

Petite, elle plongeait déjà le nez dans le coffret au lieu de dessiner avec les pastels. Cela exaspérait sa grande sœur, qui faisait des scènes à chaque fois. Apparemment, ce n’était pas pour leur odeur que les crayolas étaient appréciés par le reste du monde, avait-elle compris à ses dépens.

Le pire, ce fut quand sa sœur et sa mère entrèrent un jour dans sa chambre, les yeux écarquillés, bouches bée toutes les deux. Sa sœur s’était mise à pleurer, sa mère à la gronder vertement. A côté de Mélanie, il y avait un tas, un monceau même, de crayolas cassés en deux, qui constituait très visiblement la cause du drame, les regards incrédules de la sœur et de la mère allant et venant du tas à Mélanie. Le coffret géant était aux trois quarts vide.

 

C’est en les cassant qu’ils sentent le plus fort et le meilleur, les crayolas. Et puis le son en les brisant est si intéressant. Mélanie avait bien essayé d’expliquer sa conception, mais s’était quoi qu’il en soit retrouvée privée de chocolat jusqu’à la fin de la semaine.

C’est une odeur de défi et de différence, les crayolas. Mélanie s’en fait une petite victoire à chaque bouffée de son bocal secret.