À pas de loup


BAM BAM

 

BAAAAAM

 

Loïc se réveille en sursaut dans le lit, le cœur battant la chamade. L’esprit tout engourdi de sommeil, il commence par se demander si le vacarme qu’il vient d’entendre n’est pas le fruit de ses rêves. Cela lui arrive régulièrement, ces temps. Toutes sortes de cauchemars qui le font émerger en nage et en panique de sous la couette, incapable pendant plusieurs minutes de se situer entre mondes onirique et réel.

C’est exactement pour cela qu’il a emprunté pour le week-end le chalet de famille de son ami Fabien, chalet qu’il serait honnêtement plus juste de qualifier de vieille cabane légèrement améliorée. Loïc perdu sur la montagne, sans eau ni électricité, s’est ainsi fixé pour but de retrouver un peu de calme intérieur. Lui, le citadin si peu aventureux, s’est dit qu’un brin de nature, d’inconfort et de défi en solitaire lui remettraient les idées bien en place.

 

BAAAAAM

 

Non, là, c’est sûr. Il n’a pas rêvé. Le bruit est bien réel. Il se met en position assise. Aux aguets. Il se frotte la figure. Bien réveillé maintenant. Il s’interroge. Qu’est-ce que c’est que ce raffut? Il voit le ciel tranquille par la fenêtre juste à côté de la table de chevet: pas d’orage donc. Quelque animal? Non, le bruit ne serait pas aussi fort. Un arbre mort qui aurait chuté, peut-être? Non, le coup ne se répèterait pas. Quoi d’autre? Il est à court d’imagination.

Loïc sort prudemment de sous la couette et marche le plus doucement possible sur le vieux parquet craquant et couinant. Ses pas de loup, tout précautionneux soient-ils, grincent tout de même. Il arrête net le mouvement de la pointe de son pied à chaque émission sonore, son visage se figeant également dans une grimace. Et puis, dans un de ces suspens de quelques secondes, il se rend soudain compte de son ridicule. Il reprend alors son pas normal, dans un secouement de tête moqueur envers lui-même. Il descend avec assurance les premières marches de l’escalier.

 

BAAAAAM

 

Oups. Ok. À pas de loup, tout de même. Il guigne par la lucarne au milieu de l’escalier, mais ne voit rien de notable dans la nuit. Aucun mouvement. Aucune lumière.

 

BAM BAM BAM

 

Tiens, on dirait vraiment que cela vient de la porte. Mais qui pourrait bien se retrouver devant ce chalet paumé à deux heures du matin? Ce n’est pas comme s’il y avait des chemins de randonnée ou des attractions dans le coin. Non, c’est vraiment un trou du cul du monde par ici.

Arrivé devant la porte, Loïc colle son oreille contre le bois. Puis il essaie de distinguer quelque chose par le trou de la serrure, après en avoir retiré très, très, très délicatement la clé.

Ah oui, quelque chose bouge, là. Non identifiable, mais il y a clairement du mouvement.

 

BAM BAM BAM BAM

 

Hum, ouvrir la porte? Hum, non, Loïc ne se sent pas trop ce courage-là, comme ça, tout seul, au milieu de nulle part au milieu de la nuit au milieu de ses cauchemars de quarantenaire apeuré du milieu de la vie… Non, vraiment, non. Ce n’est absolument pas le genre de défi qu’il avait prévu de relever ce week-end. Mais quoi faire, bon sang?

Oh, et puis merde. Il décide d’ouvrir la porte. S’il doit mourir, dévoré par un ours, assassiné par un ermite en pleine crise de démence, déchiqueté par un zombie, pourquoi pas maintenant, finalement? Qu’est-ce que cela pourrait bien changer? Il respire un grand coup, remet la clé dans la serrure et à 1, 2, 3, tourne la clé et appuie sur la poignée dans un seul geste. Porte grande ouverte.

Mais, ça alors! Loïc est bouche bée. Devant lui se tient une jeune femme, jolie bien qu’échevelée. Ses poings sont levés, prêts à frapper de nouveau, leur geste arrêté à mi-course par la soudaine ouverture de la porte. Son visage est empli d’épouvante autant que d’épuisement. En habits de randonnée et un sac sur le dos presque aussi gros qu’elle, la jeune femme est visiblement à bout de force, épaules voûtées, jambes flageolantes.

– Euh… Vous êtes perdue? Je peux vous aider?

Loïc s’est enfin ressaisi de son étonnement. Il est soulagé et même, à vrai dire, un peu guilleret de cette présence humaine qui coupe la solitude qu’il avait choisi de s’imposer.

– Oui, s’il vous plaît. Cela fait huit heures que je marche. Mon téléphone est à plat. Je ne sais pas du tout où je suis et je n’ai plus rien à boire ni à manger.

– Oh,  je vois. Entrez, entrez seulement.

 

Se sentant soudain investi par l’univers d’une mission de héros sauveur de princesse en détresse, Loïc s’occupe immédiatement de débarrasser sa protégée du lourd sac à dos, de lui indiquer le canapé dans le salon et de lui faire la liste de ce qu’il peut lui offrir à boire et à manger. Selon les souhaits de Céleste (il vient d’apprendre le divin prénom de la tombée du ciel), Loïc s’empresse d’aller préparer un plateau de victuailles à la cuisine. Il pense, tout en s’affairant prestement à sa tâche, que l’événement en train de se produire est un sacré hasard, une coïncidence on ne peut mieux trouvée, voire constitue carrément un signe. Au plus grand dam de son rationalisme habituellement indéfectible d’ingénieur télécom.

Il prend son plateau et le ramène au salon. Il y retrouve sa princesse la tête renversée sur le haut du canapé, bouche ouverte, ronflotant dans un sommeil déjà profond.

Là, ne sachant plus que faire avec son plateau, en pyjama de chalet, c’est à dire en vieux collant de ski tout râpé et polaire aux couleurs des années 80, Loïc visualise de loin la scène, comme s’il en était le spectateur et non l’acteur.

 

Alors, toutes ses forces concentrées sur l’analyse de la situation, l’interprétation des signes contradictoires et le calcul de probabilité des liens de causalité ou de concomitance entre une crise de la quarantaine et un conte de fée, il se demande intensément s’il doit embrasser la princesse Céleste pour la réveiller…

 

Coucher de soleil depuis le Mont-Pèlerin